COP21 : tensions sur le texte de l’accord

Source : lemonde.fr

COP21 : tensions sur le texte de l’accord

Les nuits sont de plus en plus courtes au Bourget. Mercredi 2 décembre, les négociateurs de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), en examinant le dossier du financement, avaient prolongé leurs travaux jusqu’à 2 heures du matin. Jeudi soir, encore plus de « badges roses » – qui permettent d’identifier les représentants des 195 pays et de leurgarantir un accès aux salles officielles – se sont préparés à veiller tard.

Après un tunnel de réunions thématiques en journée puis un bilan d’étape en début de soirée, il leur restait une troisième tâche à accomplir d’ici à vendredi matin :consolider le projet d’accord universel de la conférence mondiale sur le climat(COP21). Son président, Laurent Fabius, compte sur une copie finalisée, samedi à midi. « Un projet le plus abouti possible », insiste le ministre français des affaires étrangères, qui a demandé publiquement aux négociateurs d’« accélérer » le mouvement.

Ce brouillon (draft), dont la trame avait été validée mi-octobre à Bonn, lors de la dernière session préparatoire à la COP21, doit guider les discussionsministérielles du 7 au 9 décembre et mener à un accord vendredi 11 décembre, au dernier jour de la conférence.

« Les gens sont nerveux et irrités »

« Nous sommes à un point des négociations difficile parce que nous n’avons plus beaucoup de temps. Les gens sont nerveux et irrités », a convenu l’un des deux coprésidents des débats, l’Américain Daniel Reifsnyder, jeudi soir, au cours d’une assemblée plénière tendue. A vingt-quatre heures de l’échéance fixée par M. Fabius, les négociations semblaient encore patiner. Mandat a été donné aux cofacilitateurs, les binômes de diplomates qui animent les groupes de travail thématiques, de proposer, vendredi, des formulations de synthèse sur leurs sujets respectifs.

Une partie du chemin a finalement été accomplie. A 10 heures, vendredi, ont été publiées conjointement deux versions du projet de texte d’accord. La première comporte le texte compilé des différentes options proposées par les pays, la seconde intégre les propositions de rédaction de compromis amenées par les co-chairs et les co-facilitateurs. Un document de travail parallèle, sans statut officiel, dont le principal objectif est de bâtir des « passerelles » entre des positions divergentes, des « bridging proposals » dans le jargon onusien. « C’est une bonne solution pour que les pays puissent dépasser plus facilement leurs formulations initiales », commente la Fondation Nicolas Hulot (FNH) qui poursuit :

 « Nous ne sommes pas du tout dans le scénario de Copenhague, où un second texte, complètement déconnecté du premier, avait été rédigé  “en secret” par quelques-uns, en dehors des salles de négociation. A Paris, il y a pour l’instant deux versions du projet de texte, mais servant à préparer le même accord au final car les propositions de compromis acceptées seront réintégrées dans le projet initial, en toute transparence. »

Travail de simplification

Selon la FNH, les négociateurs sont parvenus à un travail de simplification du texte. Le nombre de crochets et d’options encore ouvertes est divisé par deux. On passe de plus de 1 400 crochets à 750, de plus de 200 options à une centaine.Certains points ont été clarifiés, notamment l’objectif de long terme de l’accord qui pourrait être scellé à Paris. « La discussion est en cours sur le fait de savoir s’il peut y avoir un objectif chiffré pour 2050 », a indiqué à ce sujet Laurent Fabius, vendredi, dans un entretien aux Echos.

Des points de blocage perdurent sur des questions centrales, en particulier celle de la différenciation, l’effort demandé aux pays développés et en développement, et des financements attendus par les pays du Sud pour faire face aux dérèglements climatiques.

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« LE MESSAGE QUE NOUS RECEVONS DES PAYS DÉVELOPPÉS, C’EST QU’IL N’Y A RIEN », AFFIRME JUAN HOFFAISTER, DÉLÉGUÉ DE BOLIVIE

« Dans le processus de négociations sur le climat, les avancées ne sont jamais linéaires, note Teresa Ribera, directrice de l’Institut dudéveloppement durable et des relations internationales (Iddri). On cherche à trouver un point d’équilibre sur un sujet avant d’aller au point suivant. » Or, les points d’équilibre étaient encore peu nombreux dans le document mis à jour le 4 décembre. Si les nouveaux textes mis sur la table ne suffisaient pas à lever les blocages, une version alternative pourrait-ellesortir du chapeau de la présidence française? En cédant à cette tentation, « la présidence de la COP perdrait toute crédibilité,prévient Mme Ribera. Il faut conserver l’esprit de réconciliation entre pays trouvé à Cancun, la conférence qui s’est tenue l’année suivant l’échec de Copenhague, etexpliquer aux Etats que l’on avancera le plus loin possible, mais toujours à partirde leur texte ».

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La question cruciale du financement

Dès jeudi, l’effort de clarification était tangible, mais « une avancée sur la forme ne signifie pas une victoire sur le fond », tempérait Alix Mazounie, du Réseau action climat (RAC), qui sait à quel point ce sujet est sensible politiquement, en particulier pour les pays pétroliers non disposés à renoncer aux énergies fossiles dont leur sous-sol regorge. Pour Célia Gautier, du RAC également, il restait « beaucoup de questions de fond à régler cette semaine, car les ministres ne pourront pas tout faire la semaine prochaine ».

Le délégué de la Bolivie s’en était fait l’écho pendant la plénière de jeudi.« Profondément déçu », Juan Hoffaister a dénoncé l’attitude des pays développés en matière de soutiens financiers pour l’adaptation au changement climatique :« Le message que nous recevons des pays développés, c’est qu’il n’y a rien. »Comme l’a rappelé Nozipho Mxakato-Diseko, porte-parole du groupe G77 +Chine, large coalition de 134 pays en développement, les nations du Sud attendent toujours des pays riches qu’ils honorent la promesse faite à Copenhague en 2009, à savoir de mobiliser 100 milliards de dollars par an (92 milliards d’euros) d’ici à 2020, afin d’aider les pays en développement à faire face aux effets du réchauffement.

« Ça passera ou ça cassera sur la question du financement, a lancé en conférence de presse l’ambassadrice sud-africaine. Nous voulons savoir avec certitude que des fonds et des transferts de technologie vont bientôt venir. »Quelques minutes plus tôt, c’est le ministre de l’environnement de Gambie, Pa Ousman Jarju, qui évoquait l’importance, pour les pays les moins avancés qu’il représente, « d’atteindre non seulement la cible des 100 milliards, mais de fixeraussi un engagement clair pour la période post-2020 ».

Un Indien d'Amazonie au sommet des villes organisé à l'hôtel de ville de Paris, le 4 décembre.

« Les finances et l’adaptation sont les sujets les plus sensibles des négociations,convient le cofacilitateur de la République démocratique du Congo, Tosi Mpanu-Mpanu. Mais nous n’avançons pas vite non plus sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et sur la transparence, car ces deux questions touchent à un point dur des débats, la différenciation [qui impose aux pays développés un effort plus important au nom de leur responsabilité historique dans les émissions]. »Plusieurs pays développés souhaitent que soit indiqué dans l’accord que les pays émergents qui le peuvent contribuent à cet effort financier.

Décisif pour inscrire l’accord dans la durée, le mécanisme de révision à la hausse des engagements des Etats suscite « une vision de plus en plus partagée, mais qui ne se reflète pas pour l’instant dans le texte », estimait, jeudi, la directrice de l’Iddri. L’accord devrait être « juridiquement contraignant, insiste par ailleurs Laurent Fabius. Le résultat de Paris n’est pas une conversation politique, ce sont des mécanismes avec une portée concrète. Même s’il ne s’agit pas de dire qu’on va mettre en prison je ne sais qui. » Pour l’instant, il s’agit surtout de trouver des espaces de compromis en un temps très restreint.

« Pour le moment, le compte n’y est pas », a indiqué vendredi Laurent Fabius, en conférence de presse. « Beaucoup de points ne sont pas tranchés, c’est le moins que l’on puisse dire, a commenté le président de la COP21, tout en excluant l’option consistant à repousser la date-butoir fixée à samedi midi. Ce ne serait pas raisonnable ». Pour préparer une deuxième semaine de négociations qui s’annonce délicate, il s’appuiera sur deux ambassadeurs, François Delattre et Philippe Lacoste, et sur l’ancien secrétaire exécutif de la CCNUCC, le Maltais Michael Zammit Cutajar. Ce trio d’experts devrait l’aider à définir le format et le calendrier des réunions ministérielles. M. Fabius a également fait du ministre péruvien de l’environnement Manuel Pulgar Vidal, le président sortant de la COP, son représentant spécial auprès des ONG.

 Simon Roger
Journaliste au Monde