Des tribus isolées d’Amazonie essaient d’entrer en contact avec le monde extérieur

Des Indiens de la tribu des Mashco-Piro, une tribu amazonienne coupée du reste du monde, sont apparus sur les rives de la rivière Madre de Dios, au Pérou. Des sorties qui obligent les autorités des deux pays à revoir leur politique de “non-contact”.

Depuis trois ans, des Indiens Mashco-Piro, l’une des dernières tribus isolées de la forêt amazonienne, apparaissent régulièrement sur les rives du Madre de Dios, au sein du Parc national de Manú. Des sorties qui s’ajoutent à celle, il y a quelques mois, d’un groupe d’une trentaine d’Indiens aux abords de la rivière Xinane, au Brésil.

Le phénomène inquiète autorités et chercheurs. “Coupées du monde extérieur, les tribus isolées sont très fragiles sur le plan épidémiologique, explique François-Michel Le Tourneau, chercheur à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine. Des pathologies comme la grippe, bénignes à nos yeux, peuvent avoir des effets désastreux chez elles.” Un précédent a fait date. Dans les années 1980, l’anthropologue Sidney Possuelo avait entrepris d’établir le premier contact avec les Indiens Korubo, dans la vallée du Javari au Brésil. Quelques décennies plus tard, leur nombre s’est considérablement réduit suite à l’apparition d’épidémies virulentes d’hépatite B et de paludisme.

Cette menace sanitaire a poussé le gouvernement péruvien à envoyer des spécialistes afin de comprendre ce qui pousse ces tribus à sortir de leur autarcie. “Ils réclament de la nourriture et des machettes pour construire leurs arcs”, explique Luis Felipe Torres, un anthropologue péruvien qui a rencontré plusieurs fois des membres des Mashco-Piro. Mais ils n’en disent pas davantage sur les raisons qui les poussent à entrer en contact avec le monde extérieur.” Il est probable toutefois qu’elles soient victimes des orpailleurs, exploitants agricoles et trafiquants de toute sorte qui pullulent en Amazonie et mettent en danger l’équilibre de ces communautés. Ce qui les oblige parfois à fuir leur territoire.

L’expérience traumatisante du passé

“Ces tribus souhaitent rester isolées”, explique François-Michel Le Tourneau. Tout au long de leur histoire, elles ont été victimes des épidémies, des tentatives pour les réduire en esclavage ou les évangéliser. Une expérience traumatisante qui les a convaincues du danger que représente le monde extérieur. À partir de ce constat, le gouvernement brésilien a adopté dans les années 1980 une politique de “non-contact” avec ces tribus. Seule manière, estimait-il, de pérenniser leur existence et leurs traditions. S’il est nuancé par la pression des intérêts privés et des difficultés à contrôler le territoire, le succès de cette politique a incité le Pérou à suivre le même modèle en 2006.

La multiplication de ces sorties interroge la pertinence de cette politique de non-ingérence. Au début du mois d’août 2015, le gouvernement péruvien a adopté une stratégie dite de “contact contrôlé”, qui limite l’accès aux zones de la rivière où les Indiens ont été aperçus à plusieurs reprises. Les autorités développent également des programmes de sensibilisation auprès des communautés voisines. Enfin, une campagne de vaccination est en train d’être mise en place afin de minimiser les risques d’épidémies en cas de contact.

Cette politique ne s’applique pour le moment qu’aux Mashco-Piro. Les quinze autres tribus isolées vivant sur le sol péruvien restent sous le régime du “non-contact”. Pour José Carlos Meirelles, un militant des droits des Indiens, il faut pourtant s’attendre à une multiplication des contacts dans les prochaines années. “Et qu’allons-nous faire ? Les jeter dans un avion pour les ramener dans la forêt ? Non ! S’ils cherchent à entrer en contact avec nous, il faut les accueillir de la meilleure manière possible. Nous devons avant tout veiller sur leur santé, sécuriser les frontières de leur territoire et leur laisser le temps de s’adapter à la folie de notre monde.”

Par Sidonie Hadoux et Olivier Liffran